Si les grimpeurs reviennent en vain se faire soigner, séance après séance, pour des douleurs chroniques au coude, je crois que ça s’explique par le fait que le traitement est ciblé trop spécifiquement sur le coude. C’était le cas de Brittany Griffith, ambassadrice Black Diamond lorsque je l’ai rencontrée. On me l’a présentée dans l’espoir que je pourrai résoudre ses problèmes de coude. Débordante d’énergie, Brittany est une grimpeuse à l’esprit libre assumé capable de jardiner vigoureusement à la frontale en pleine nuit pour remédier à une insomnie due au décalage horaire. Elle est connue pour ses aventures en escalade pendant deux semaines d’affilée, sans aucun jour de repos, aux destinations aussi lointaines que le Soudan et le Yémen.

Lorsque j’ai rencontré Brittany, elle se massait l’extrémité du coude dans une vaine tentative de calmer la douleur après avoir grimpé une simple voie en salle. Elle avait l’air désespérée. Malgré des antécédents de douleurs chroniques importantes au cou et à l’épaule, c’était maintenant le coude de Brittany qui limitait sa capacité à grimper. Elle ne pouvait même pas tenir un verre d’eau sans avoir mal.

Après avoir consulté un certain nombre de médecins, elle commençait à croire que la chirurgie serait son seul espoir. Même avec une opération pour solution éventuelle, elle craignait que des blessures chroniques, comme sa douleur au coude, ne compromettent sa carrière de grimpeuse professionnelle, et l’empêchent même de profiter de ses autres passe-temps favoris.

Peu après notre première rencontre, Brittany et moi nous sommes mises au travail. Au bout de quelques séances de kiné proposant une approche plus ciblée escalade, Brittany grimpait de nouveau et son mode de vie énergique et libre était intact.

L’histoire de Brittany est un exemple fréquent chez nombre de mes patients, indépendamment de leur niveau de grimpe, et typique de la façon dont les déséquilibres de la gestuelle peut causer des douleurs chroniques au coude. Par le biais de la rééducation de Brittany, j’ai appris que les blessures chroniques peuvent être difficiles à soigner même lorsque la douleur est provoquée par des mouvements du corps les plus simples. Des mécanismes corporels inappropriés peuvent conduire à un abandon total et forcé du sport mais, si nous travaillons à améliorer les habitudes gestuelles, en escalade et dans la vie quotidienne, il est possible d’inverser ce processus.

Ce qui suit est basé sur un article récemment publié, Hang Right : De l’entretien des épaules chez les grimpeurs. Dans cet article, nous tenterons d’explorer les façons dont les déséquilibres de nos muscles et tissus conjonctifs autour des muscles, appelés fascias, peuvent causer un stress excessif sur nos coudes. Nous proposerons aussi des techniques et des astuces pour gérer ces symptômes en effectuant des exercices réparateurs à l’écart des parois.

climber reaching for hold on a pitch

Anatomie 101 : Le coude, les muscles de l’avant-bras et les fascias

Un traitement réussi des douleurs au coude (en particulier chez les grimpeurs) doit impliquer la poitrine, le tronc et les bras au lieu de se concentrer exclusivement sur la douleur localisée. Ceci est particulièrement important concernant les groupes plus larges de muscles qui sont organisés selon une structure appelée fascia. Utilisons les fascias pour examiner deux pathologies courantes parmi les grimpeurs : le « tennis elbow » (douleur au coude chez le joueur de tennis) et le « golfer’s elbow » (douleur au coude chez le joueur de golf).

Un fascia est un réseau de tissu qui entoure les muscles. Le fascia enveloppe les muscles individuels et relie les groupes de muscles dans le corps par le biais de “systèmes de fascias.” Un muscle tendu peut induire des contractions du fascia qui entoure celui-ci et vice versa. De même, parce que différents muscles sont reliés via les systèmes de fascias, un muscle tendu peut limiter la mobilité d’autres muscles situés en avant et en amont de celui-ci.

Étudions tout d’abord la façon dont ces réseaux de muscles et de fascias contribuent à l’apparition d’une douleur au coude chez le joueur de golf (épicondylalgie médiale). Le « golfer’s elbow » se signale par une douleur sur la face interne du coude, qui affecte essentiellement les muscles fléchisseurs du poignet et des doigts (Figure 1). Ces muscles sont fixés à la proéminence osseuse interne du coude (Figure 1, représentée en rouge), qui est la cause du golfer’s elbow.

Considérez ceci : les muscles fléchisseurs du poignet et des doigts sont reliés à beaucoup d’autres muscles – le biceps, les pectoraux et les grands dorsaux — par un système de fascias (Figure 2). Pour de nombreux grimpeurs, les altérations de ces muscles en amont peuvent contribuer à une contrainte excessive du coude, provoquant une sollicitation et une tension, et finalement, de la douleur. Ceux-ci ont tendance à faire partie des muscles les plus tendus chez les grimpeurs.

De plus, ces muscles particuliers (le biceps, les pectoraux et les grands dorsaux) sont souvent sujets à des tensions en raison d’une mauvaise posture et d’une mécanique d’épaules inappropriée tant en escalade qu’au quotidien. L’image suivante montre la posture “typique” du grimpeur, et comment celle-ci peut affecter la longueur au repos du biceps, des pectoraux et des grands dorsaux (Figure 3).


Examinons maintenant la douleur présente sur la face opposée du coude. Les symptômes qui surviennent à l’endroit où les muscles extenseurs du poignet et des doigts s’insèrent sur la face externe du coude sont communément appelés « tennis elbow » ou épicondylalgie latérale (Figure 4).

Le tennis elbow suit un schéma comparable à celui du golfer’s elbow : les muscles extenseurs de l’envers du poignet et des doigts sont reliés par un autre système fascial au triceps, trapèze et aux muscles de la coiffe des rotateurs postérieurs (Figure 5). Les muscles de ces fascias ont tendance à faire partie des muscles les plus faibles chez les grimpeurs.

Il en résulte que les douleurs au coude chez le joueur de golf et le joueur de tennis sont souvent la conséquence de déséquilibres de nos muscles et de nos systèmes fasciaux. En traitant ces tissus soumis à tensions et en renforçant les muscles qui sont faibles, il est possible d’optimiser ces systèmes fasciaux et de surmonter les blessures chroniques dues à une « mauvaise utilisation ».

COMMENT Y REMÉDIER? QUE PEUT-ON FAIRE? LES SOLUTIONS EN AMONT, LOCALES ET EN AVAL

LA SOLUTION EN AMONT

Nos coudes sont sujets à des mouvements répétitifs en raison des schémas de tension et de faiblesse des systèmes fasciaux de la poitrine, du tronc et des bras. Prenez en compte la façon dont une faiblesse des épaules et des abdominaux peut affecter le coude d’un grimpeur. La ceinture scapulaire et les abdominaux comprennent des “fondations” sur lesquelles fonctionnent nos coudes. Si ces fondations sont faibles, nous ne pouvons pas contrôler notre coude sans le soumettre à une tension excessive. Nos coudes peuvent facilement devenir le maillon faible entre notre main et ces fondations (les abdominaux et l’épaule). Dans un effort de compensation des fondations faibles, les muscles qui s’insèrent sur le coude finissent avec le temps par travailler pour stabiliser nos bras et par être sursollicités et tendus. Les micro-déchirures s’accumulent, provoquent des inflammations et une douleur que nous appelons le tennis ou le golfer’s elbow apparaît.

Pour les grimpeurs qui présentent des faiblesses aux épaules ou aux abdominaux, des exercices de renforcement de ces “fondations faibles” peuvent aider. En plus d’améliorer la posture, le concept le plus largement applicable consiste à renforcer la ligne fasciale à l’arrière du bras et à allonger la ligne fasciale à l’avant du bras. Voici ci-dessous quatre exercices fondamentaux basés sur ce concept.


QUATRE EXERCICES FONDAMENTAUX POUR CORRIGER LA FAIBLESSE DES ÉPAULES ET DES ABDOMINAUX AINSI QUE LA TENSION DES SYSTÈMES FASCIAUX DES BRAS:

1. Ange au sol sur un rouleau en mousse : Cet étirement consiste à allonger les muscles généralement tendus chez les grimpeurs en raison de l’usure et de la posture (muscles pectoraux)

2. Étirement de l’arrière de l’épaule avec bloc: Cet étirement consiste à allonger les muscles généralement tendus chez les grimpeurs en raison de l’usure et de la posture (muscles des grands dorsaux et triceps)

3. I, Y et T couché sur le ventre: Ces exercices consistent à renforcer les muscles stabilisateurs de l’épaule (coiffe des rotateurs postérieurs et muscles du trapèze)

4. Pompe du muscle dentelé à quatre pattes: Cet exercice consiste à renforcer les muscles stabilisateurs de l’épaule (muscle dentelé antérieur)

Voir la vidéo de Brittany Griffith sur ces quatre exercices fondamentaux ici: Strength & Flexibility for Climbers

Une fois que tu pratiques les exercices ci-dessus, tu peux les appliquer à l’escalade:

ANATOMIE “HANG RIGHT” IMPLIQUANT LE COUDE

LA SOLUTION LOCALE

Le traitement en phase initiale de blessures au tendon (blessure datant de moins de 6 semaines) exige une solution visant à réduire l’inflammation (glace et adaptation de l’activité). Si la blessure date de plus de 6 à 8 semaines, il ne s’agit plus d’un processus inflammatoire (c’est-à-dire, la glace et le repos ne sont plus une solution efficace !), mais plutôt d’un processus de dégénération du tendon. Dans ce dernier cas, le tendon est affaibli, détérioré, douloureux et ne résiste pas aux charges.

Pour favoriser la guérison et restructurer un tendon plus de 6 semaines après une blessure, il est important de favoriser activement la guérison du tendon par un processus que nous appelons “remodelage".

Tu dois connaître les exercices de musculation à l’aide d’un marteau et le travail inversé des poignets. L’exécution de ces exercices fait apparaître progressivement un micro-stress et une micro-inflammation sur la zone locale qui donnent au corps le signal pour remodeler les tissus lésés en provoquant leur rupture, et en reconstruisant de nouveaux tissus. Ce processus prend environ 6 à 8 semaines et permet d’obtenir la réparation d’un tendon qui peut de nouveau travailler correctement sans douleur.


EXERCICES DE REMODELAGE DU TENNIS ELBOW

1. Tyler Twist: Cet exercice sollicite les muscles extenseurs fixés sur la face externe du coude

Woman twisting rubber noodle, palms down

2. Hammer Drill: Cet exercice sollicite le muscle supinateur fixé sur la face externe du coude

Woman holding hammer, elbow on knee, palm down

EXERCICES DE REMODELAGE DU GOLFER’S ELBOW

1. Reverse Tyler Twist: Cet exercice sollicite les muscles fléchisseurs fixés à l’intérieur du coude

Twisting rubber noodle, palms up

2. Reverse Hammer Drill: Cet exercice sollicite le muscle rond pronateur fixé à l’intérieur du coude

Pour accéder à d’autres vidéos et exercices d’auto-rééducation des douleurs au coude de type tennis elbow et golfer’s elbow: Grassroots Self Treatment

ARAMÈTRES RECOMMANDÉS POUR DES EXERCICES DE REMODELAGE: Laisse tes symptômes te guider pour trouver le nombre approprié de répétitions pour chaque exercice.

1. Trouve le niveau de résistance qui déclenche tes symptômes habituels ou un inconfort au bout de plusieurs répétitions (par exemple, effectue 5 répétitions jusqu’à la reproduction de tes symptômes habituels). Assure-toi qu’aucune douleur durable n’apparaît suite à ces répétitions.

2. Effectue trois à cinq sessions de ce nombre dans la journée. Continue jusqu’à ce que cet exercice ne déclenche plus tes symptômes habituels.

3. Pendant une période de 6 à 8 semaines, augmente la charge progressivement (de 1 à 2,3 kg), en prenant soin de reproduire tes symptômes habituels sans que survienne une douleur durable une fois l’exercice terminé.

4. Tu pourras reprendre doucement l’escalade et les activités qui suscitaient habituellement l’apparition de tes symptômes lorsque tu sauras pratiquer ces activités sans faire apparaître tes symptômes pendant ou après l’effort. Tu peux interrompre ces exercices de remodelage une fois disparus les symptômes lors d’activités normales ou durant l’escalade. Il est possible cependant de choisir de les ajouter à ton programme d’entraînement hebdomadaire ou de les utiliser comme exercices d’échauffement avant de grimper.

LA SOLUTION EN AVAL

Il est aussi pertinent d’examiner les schémas gestuels de nos doigts et poignets pour résoudre les douleurs au coude puisque nos mains sont en interaction directe avec notre environnement (qu’il s’agisse de s’agripper au rocher ou de saisir un verre d’eau). La stabilité du poignet et un équilibre entre la résistance et la longueur des muscles et des fascias qui traversent nos poignets et parcourent nos doigts sont aussi importants que les muscles en amont mentionnés ci-dessus. L’épisode 3 de notre série Hang Right étudiera en détail le problème en aval et ses solutions.

Conclusion : Brittany 5 ans plus tard

Grâce à ces solutions en amont, locales et en aval appliquées au bras de Brittany, nous avons pu résorber sa douleur chronique au coude, à l’épaule et au cou en quelques mois. Tandis que Brittany continue ses petits réglages et fait face à des hauts et des bas comme nous tous, des contrôles réguliers lui permettent de conserver un équilibre entre tensions et faiblesses afin qu’elle poursuive sa vie de grimpeuse professionnelle et de femme libre sans blessure ni douleur.

Si nous grimpons, nous nous entrainons et nous fonctionnons avec la stabilité et l’équilibre des structures en aval et en amont de nos coudes, alors nous pouvons solliciter ceux-ci de manière appropriée. Parvenir à un fonctionnement le plus équilibré possible de nos bras impose un travail dédié exigeant mais peut préserver ce malheureux coude qui se trouve pris « entre deux ».

Portrait of Esther Smith

Esther Smith, DPT, Cert. MDT, NTP est kinésithérapeute, grimpeuse et propriétaire de Grassroots Physical Therapyà Salt Lake City, Utah. Elle est kiné pour le Team Pro Escalade de Black Diamond et pour beaucoup d’autres grimpeurs ambassadeurs. Esther est également propriétaire de selftreatment.com, un site internet commercial qui relève des défis courants tels que le tennis elbow et le golfer's elbow, douleurs aux cervicales et lombalgies avec des vidéos didactiques.

Portrait of Katey Blumenthal

Katey Blumenthal, DPT, MA, est kinésithérapeute, grimpeuse et adepte de bien-être. Elle travaille chez Grassroots Physical Therapy à Salt Lake City, Utah.