Best of Grimsel est un projet qui a germé au printemps 2020 alors que je rêvais du Yosemite et de ses longues voies grandioses.

J'ai pensé que ce serait cool de grimper une voie de même longueur plus près de chez moi, seulement il n'y en avait pas !

Puis je me suis dit : et si je combinais les cinq lignes les plus belles et les plus emblématiques du granite de Grimsel en une journée ? J’obtiendrai ainsi une voie de longueur similaire à celles de la fameuse vallée.

Nous sommes arrivés à Eldorado mercredi après-midi. C'était une belle journée d'automne. J'ai grimpé jusqu’au sommet de la troisième longueur puis je suis descendu en rappel, en répétant les mouvements que je ferai dans l'obscurité le lendemain matin et en laissant une corde en place pour protéger un départ rapide.

Sachant que je commencerai la journée à une heure pénible, j’ai filé au lit à 19h00.

Best of Grimsel avec Yannick Glatthard

J’ai démarré la journée sur le splendide rocher d'Eldorado par la voie Motörhead.

Cette ligne a été ouverte en 1981 par les frères Remy. À l'origine, la voie comptait un total de 12 pitons pour points d’ancrage fixes. Aujourd’hui, elle est bien équipée, avec des vrais relais, c’est pourquoi elle est devenue une telle classique.

L'escalade dans cette voie est superbe, mais pour moi la vue sur le Grimselsee est ce qui donne à l’ascension toute son ambiance.

Cette nuit-là, aucune vue possible : tout ce que je pouvais voir, c'était les quelques mètres de roche éclairés dans le halo de ma lampe frontale. Détendu et dans ma petite bulle personnelle, j’évoluais sur la paroi.

Quand j'ai atteint le sommet, je me suis arrêté seulement pour mettre quelques en-cas dans ma poche avant de descendre en courant le long du sentier retour, grignotant en chemin.

Près du barrage, j'ai récupéré mon vélo que j’avais caché et j'ai roulé jusqu'à Chöenzentennlen.

En arrivant là-bas, j'avais un peu froid. J'ai préparé mon matériel pour la voie suivante et j’ai mangé de manière un peu plus substantielle. Puis j’ai effectué l’approche jusqu'au départ de Sagittarius.

J'ai été étonné de voir à quelle vitesse cette ascension peut se faire. L'objectif était d'atteindre le sommet de Sagittarius au lever du soleil. Mais quand je suis arrivé là-haut, il faisait encore très sombre.

J’ai calmé ma joie car je devais ralentir un peu pour me concentrer sur le rappel. Il y avait dans la paroi beaucoup de petites écailles dans lesquelles la corde pouvait se prendre. Je ne voulais pas risquer de faire capoter mon projet. Heureusement, les brins filaient correctement à chaque fois. Bientôt, j'étais de retour à mon vélo et je descendais vers Handegg.

Là, il faisait vraiment froid, le crépuscule soufflant un vent mordant vers la vallée. J'ai été heureux d’enfiler deux vestes chaudes à la voiture à Handegg et de faire une bonne pause.

J'ai pris le petit déjeuner et j'ai attendu la lumière du jour, afin de pouvoir grimper la voie Fair Hands Line sans lampe frontale.

Yannick Glatthard climbing with a Black Diamond rope

Le soleil levant rougissait les montagnes. C'était époustouflant. Puisant dans cette énergie, et sachant que j’avais encore toute la journée pour terminer la seconde moitié du projet, je me suis senti confiant.

Je connaissais bien la voie Fair Hands Line ; pour accélérer les choses je pouvais grimper certaines sections en solo libre. J’ai grimpé la majorité du projet dans un style solo-encordé car pour moi le risque n’en valait pas la peine. Et je n'étais pas tant à l’aise avec la plupart des voies.

Ma tactique d’encordement solo est celle-ci : Il faut fixer la corde en bas, s’encorder dessus pour grimper, fixer la corde au prochain relais, descendre en rappel, retirer le matériel, libérer la corde en bas et grimper jusqu'au relais suivant. Ainsi, chaque longueur est parcourue 3 fois. C’est beaucoup de travail.

À Grimsel, à côté du funiculaire le Gelmerbahn, Fair Hands Line est de loin ma voie préférée.
Dans la même idée j’ai choisi la voie Plaisir ouverte en 1978 par Jürg v. Känel. C'est tout simplement un cadeau du ciel de pouvoir grimper là-haut.

Je voulais réaliser le projet Best of Grimsel en moins de 24 heures. Au départ, j’ai estimé l’ascension totale à une vingtaine d’heures.

Quand je suis descendu de Fair Hands Line et que j'ai vu l’employé du funiculaire ouvrir le Gelmerbahn pour la journée, j'ai de nouveau été agréablement surpris. Ensuite, je me suis amusé à imaginer que cela pourrait être possible en aussi peu de temps que 14 heures.

Puis j'ai pris le Gelmerbahn  jusqu’à la centrale électrique, où j'ai refait mon sac à dos et me suis mis en route vers Siebenschläfer.

Au début de Siebenschläfer, on peut voir que la paroi est comme structurée par deux vagues. La dernière fois que je suis venu là, je n'ai pas pu grimper ce passage en libre.

Cette fois, je pensais que je n’avais qu’à grimper la première vague en courant et à me jeter sur la deuxième vague. Une sorte de « course et saut ».

La réussite d’une telle séquence de mouvements dans ce style et sur ce projet a certainement été le moment le plus marquant de Best of Grimsel en termes de technique d'escalade.

J'ai beaucoup de respect en pensant à Hans Howald et à l’ouverture de cette voie dans les années 70. Je suppose qu'il n'a pas tenté de courir et sauter à l'époque !

J’avais donc réussi à grimper Siebenschläfer, mais il me restait encore une voie à cocher : Abadia sur Mittagsfluh était toujours devant moi et je ne l'avais jamais grimpée avant.

Après un bon repas à Tschingelmad, je me suis approché de Mittagsfluh dans une ambiance automnale sublime. Les couleurs et la lumière étaient si fantastiques qu’elles m'ont rechargé en énergie (ou bien était-ce le repas).

Quand on regarde cette paroi en tant que grimpeur, on éprouve une certaine stupeur car elle est particulièrement imposante. Et le bord d’attaque d'Abadia provoque immédiatement une certaine appréhension. Mais j’étais extrêmement motivé pour donner le meilleur de moi-même et finaliser le projet.

Pour Abadia, j'avais à nouveau une corde de 50 m avec moi, quelques Camalots et plusieurs dégaines. Je ne connaissais pas non plus très bien la voie. De plus, j’avais changé mes chaussons d’escalade pour une pointure au-dessus car mes pieds avaient déjà fait 40 longueurs et étaient légèrement gonflés.

Alors que je grimpais les trois dernières longueurs de ce projet sur Mittagsfluh, le jour se transforma en soir et la lumière passa d’éblouissante à dorée puis à orangée. Les flancs des montagnes se teintaient de bronze, de violet et de vert profond. La majesté de ces couleurs me permit de repenser pendant un moment au projet, et de revenir sur une incroyable journée d’escalade.

En fin de compte, j’ai sorti cette dernière voie 16 heures après le début de mon voyage vertical. Mais à ce moment-là, le temps n’existe pas. À ce moment-là, j'ai trouvé mon bonheur.