“Ma toute première montagne a été de passer de la 770 à Asbury Park » déclare Andrew King.

Le jeune homme de 33 ans, qui est un grimpeur mais aussi surfeur, apnéiste et explorateur, réfléchit à son enfance à Detroit en tant que noir américain.

« J’allais à pied à l’école tous les jours, sans savoir ce qui allait se passer »

Pour cet interview en Zoom, King est assis dans son appartement à LA et nous parle ouvertement de sa vie. Il porte une chemise, symbole de sa carrière professionnelle, et un bonnet Black Diamond qui fait allusion à son côté plus aventureux. La combinaison des deux lui convient bien, car, dès son plus jeune âge, King a toujours essayé de naviguer entre deux mondes.

King a été élevé par une mère célibataire dans un quartier chaud et dégradé de la ville de Detroit. Il n’a jamais connu son père mais n’en est pas amer pour autant.

« J’ai été élevé par un village tout entier » nous confie-t-il.

Il est reconnaissant envers ses arrière-grands-parents, grands-parents, mère, frère et autres personnes de la communauté d’avoir pris soin de lui dans ce qu’il nomme un « environnement turbulent. »

« Nous n’avions pas grand chose, mais vous pouvions compter les uns sur les autres. »

Très tôt, King a laissé paraître certains signes montrant qu’il allait défier l’ordre des choses dans son milieu de naissance. Il écoutait Miles Davis et est devenu un fan de jazz. Il aimait l’école. Et surtout, il parlait sans cesse d’aller à l’Université.

« Quand tu fais partie de ceux qui essaient de pousser ce plafond de verre, c’est une chose qui n’est pas bien accueillie par la communauté » constate King.  Ils te disent « Tu te crois meilleur que nous ? »

Voilà pourquoi ses grands-parents ont décidé d’adopter King et de déménager de Detroit.

Le grand-père de King, Warren, qui était un sergent chef dans l’Armée américaine, et sa grand-mère Darlene ont accueilli King au sein de leur foyer alors qu’il était âgé de 11 ans. Ils ont d’abord déménagé à Snellville, en Géorgie - Et c’est à partir de ce moment-là que son grand-père a instauré une stricte discipline qui inspire encore aujourd’hui l'entraînement et le mode de vie de King.

« Je me souviens qu’il répétait que si on voulait être bon dans quelque chose, il faut s’imposer une discipline à soi-même. »

Le grand-père de King était assez  « dur envers lui » mais à la réflexion, il lui attribue son succès actuel.

Les années de King en Géorgie ont été cependant de courte durée.

« Au collège, quelqu’un m’a traité de nègre et je l’ai frappé » se remémore King. « Je l’ai mis K.O sans hésitation. »

Ses grands-parents étaient préoccupés. King s’est fait renvoyer de l’école, bien qu’il ne souvienne ne pas comprendre pourquoi. Durant son exclusion, alors qu’il jouait aux jeux vidéo dans le salon, son grand-père est entré

en disant « Je vais en Europe. » Moi j’ai répondu « OK, cool. » Et il a ajouté « Tu viens avec moi. »

Le grand-père de King a décidé que suivre l’école en Allemagne me permettrait de découvrir d’autres cultures, d’autres personnes et de m’ouvrir au monde. Il voulait que King devienne un citoyen du monde indépendamment de sa couleur de peau 

Il est donc allé au lycée en Allemagne, où King explique qu’il a appris « à être humain. » Il a appris l’allemand et a beaucoup voyagé pour participer à des compétitions d’athlétisme. Sprinter de talent, King a appliqué à la course la discipline enseignée par ses grands-parents.

« Je fais 1,62 m donc j’ai dû sérieusement m’entraîner à la course tous les jours » explique King en riant.

King a battu des records et reçu des médailles au lycée ; il s’est consacré à l’athlétisme qui lui donnerait par la suite accès à l’enseignement supérieur.

Mais c’est d’abord Hawaï qu’il va découvrir.

A environ 18 ans, King a déménagé chez ses grands-parents à Ewa Beach, Oahu, où ils étaient installés. Et depuis ce jour il considère Hawaï comme sa maison. C’est là que King a vu des gens de couleur participer aux sports qui l’intéressaient.

« A Hawaï, tu peux être métisse et surfer » constate-t-il. « Tu dois encore faire tes preuves mais pas à cause de ta couleur de peau. 

King s’est mis à aimer le surf et l’aspect « tu prends ce que te donne l’océan » en même temps que la lecture des vagues. Il a également commencé la randonnée sur les volcans et les sommets des îles où il n’y avait pas de vagues, se découvrant une nouvelle passion pour la montagne.

Mais l’océan et les montagnes devaient attendre. Il restait encore à King des rêves à réaliser.

« Je suis entré à l’Université Moorehouse et ma famille était aux anges » se souvient King en riant. La prestigieuse université noire américaine d’Atlanta, en Géorgie, est ce que King appelle « l’Harvard des universités noires ». 

Cependant, King avait d’autres projets. Il avait dans l’idée d’entrer à l’Université du Maine.

« Ils me disaient « tu vas fréquenter l’école la plus blanche de tous les États-Unis ? »

King avait reçu une bourse d’étude pour être athlète en D1 à l’Université du Maine. Ceci signifie que ses grands-parents n’auraient rien à payer pour ses frais de scolarité s’il choisissait cette voie. Et c’est bien celle qui a choisi.

Il y a fait des études de communication et obtenu une licence option Sciences politiques. A chaque vacance, il rentrait à la « maison » à Hawaï pour surfer et profiter de la nature.

King a ensuite poursuivi ses études universitaires avec une maîtrise en marketing intégré à l’université Lasell de Boston, et c’est là qu’il a attrapé le virus de l’escalade. Il avait 22 ans et passait tout son temps libre, son argent et son énergie à gravir les montagnes et à surfer. Il a commencé par les volcans parce qu’il savait qu’une fois le sommet atteint, il pouvait redescendre et aller surfer ! Après avoir obtenu sa maîtrise, King a continué ses aventures au grand air tout en travaillant en tant que project manager chez LEGO. Quand il n’était pas au travail, sur un surf ou dans une voie, il traversait le pays pour rendre visite à ses grands-parents à la retraite dans leur ferme à Puyallup, Washington.

C’est à ce moment-là qu’Andrew a eu l’idée du projet The Between Worlds. Il avait 26 ans et voyageait alors dans une ville minière en Asie pour réaliser l’ascension du Mont Fuji. C’est une rencontre par hasard avec une femme dans un café qui a fait germer cette idée.

« Elle m’a demandé d’où je venais et j’ai répondu « d’Amérique ». Puis elle a ajouté « J’ai toujours voulu aller là-bas », ce à quoi j’ai répondu « Vous devriez venir un de ces jours. »

Cela lui est soudain apparu comme une évidence.

« J’ai compris que ce que je disais était très décalé. Cela exigerait tellement plus que ce que cette femme peut se permettre. »

King a pris conscience que nous naviguons tous « entre plusieurs mondes »

« Nous naissons tous comme des tickets de loto, que ce soit un homme noir à Detroit, ou une femme dans une cité minière taïwanaise. Boom, c’est votre ticket de loto. Nous naviguons tous dans cet espace situé sous le plafond de verre et au-delà. Au fil des années, j’ai réalisé que mon projet The Between Worlds Project se déplace entre ces deux mondes, cet espace interstitiel. » 

Depuis ce jour, King s’efforce ne pas « conquérir des montagnes » mais de se faire l’écho des difficultés et des combats vécus par les communautés qu’il rencontre durant sa tentative d’ascension des 14 sommets les plus hauts de la planète, à savoir les sept sommets les plus élevés de chacun des sept continents plus les sept volcans les plus hauts du monde. Il serait le premier afro-américain à atteindre l’ensemble de ces sommets mais pour King, ce n’est pas le but premier.

« Ce projet propose d’exprimer ces histoires humaines et leurs combats à travers cet espace de navigation et d’essayer de percer le plafond de verre.

Lorsque King voyage pour atteindre ses destinations d’ascensions, il s’associe à des organisations non lucratives et à des personnes dans ce domaine qui symbolisent ce qu’il décrit comme « changement positif pour demain au sein des espaces naturels, et à la fois le combat contre le racisme, le sexisme, le changement climatique et les contraintes économiques. »

Il y a trois ans, King a déménagé à LA pour se rapprocher de ses grands-parents et de son arrière grand-mère Edna Reece tout en poursuivant son projet The Between Worlds Project. Il lui reste 11 sommets, et comme on peut se l’attendre, la pandémie a retardé son projet. L’arrière-grand-mère de King est décédée des suites du COVID-19 en avril, un deuil dont il ne s’est pas encore remis.

Mais le The Between World’s Project lui permet de continuer tout ce qu’elle et ses grands-parents lui ont appris.

« C’est à l’origine de toute mon histoire. Il ne s’agissait pas seulement de voyager en me déplaçant d'un lieu à un autre. Ces voyages me permettaient de voir la réalité du monde et de construire une vie grâce à laquelle j’allais pouvoir casser ce fameux plafond de verre. »

Le prochain objectif de King est de gravir le Denali. Et une fois au sommet, il souhaite répandre les cendres de son arrière-grand-mère là-haut.

« Je veux qu’elle repose en un lieu plus élevé que celui où elle est née. » Parce que c’est grâce à elle si j’en suis là. »

Suivez Andrew et The Between Worlds Project ici : thebetweenworldsproject.com

--Words: Chris Parker
--Images: Courtesy of Andrew King