Yannick Glatthard - Salbit

De l’idée à l'action

Le Salbitschijen et ses trois arêtes fascinent les grimpeurs bien au-delà des frontières suisses. Pour la plupart, c'est déjà une belle satisfaction de s'attaquer à l'une des trois arêtes en une journée, et en particulier à la crête ouest, qui est la plus longue et la plus difficile. Au total, les arêtes comprennent environ 70 longueurs et plus de 1500 mètres d'escalade, parsemées de tours abruptes et de ressauts de part et d’autre. Il n'est pas surprenant qu’historiquement les meilleurs grimpeurs du monde rivalisent pour gravir le plus rapidement possible toutes les arêtes en une seule fois.

En juillet 2023, Dani Arnold établit le record le plus récent de 9 heures et 36 minutes pour l’ascension des trois arêtes. Cette performance inspirante de l’alpiniste professionnel suisse et guide de haute montagne a incité Yannick Glatthard et Simon Wahli à tester leurs capacités sur le même terrain. Mais ils avaient dans l’idée d’y parvenir en équipe.

« Nous savions, grâce aux ascensions précédentes, que nous travaillions bien en équipe, en matière d’efficacité et de rapidité. La trilogie Salbit était le projet parfait pour tester ces compétences. »

Travail d'équipe et tactiques – Les ingrédients du succès

Simon, lui-même alpiniste et guide de haute montagne, connaissait la région. Il avait gravi les arêtes plusieurs fois par intérêt personnel et guidé ses clients sur ces classiques alpines. Pour Yannick, les arêtes représentaient un territoire inconnu et ils ont donc décidé de s'engager dans un essai les 2 et 3 octobre pour déterminer si un nouveau temps record en équipe était réaliste.

Le lundi 2 octobre Simon et Yannick ont grimpé l’arête est, descendu la face sud en rappel, ont passé un ressaut nommé « Zahnscharte » et ont grimpé la partie supérieure de l’arête sud. La journée du mardi 3 octobre a été consacrée à l’arête ouest de Salbit. Celle-ci est la plus exigeante en termes de difficulté, de longueur et de technicité. Juste après, ils ont gravi la partie inférieure de l’arête sud. Pour les passages d'escalade les plus difficiles, la technique et la stratégie ont été discutées et décidées à l'avance par la cordée afin d'assurer une sécurité maximale avec une perte de temps minimale le jour J.

Après le test, ils se sentaient tous les deux pleinement en confiance. Le timing était parfait pour de bonnes raisons : octobre est généralement un mois où très peu de grimpeurs s’engagent sur ces longues traversées. De plus, les prévisions météorologiques étaient stables et tous deux se sentaient en forme et prêts après les nombreuses journées d’escalade de l’été et de l’automne.

 

Travail d'équipe et tactiques – Les ingrédients du succès

Glatthard et Wahli se sont rendus au refuge Salbit le 5 octobre dans le but de gravir les trois arêtes le lendemain le plus vite possible.

 

« Au refuge, tout le monde connaissait notre projet », expliquent-ils, « mais personne n’en parlait. Et pourtant, nous avons ressenti tellement de soutien et d’énergie positive que nous avons pu démarrer notre projet dans les meilleures conditions possibles. »

 

L’équipe a quitté le refuge à 7h55 pour s’attaquer en premier à l’arête ouest après 40 minutes de montée. Ils gravirent en simultanée l’arête avec ses six tours et en alternant le grimpeur en tête sur les ressauts. Quiconque a déjà gravi une arête sait à quel point la manipulation de la corde détermine la réussite ou l’échec et, en fin de compte, le temps nécessaire à l’ascension. La tactique de l'escalade simultanée en alternance avec une escalade en tête leur a permis d'avancer rapidement et efficacement. Quand l'un était à l’extrémité la plus délicate de la corde, naviguant sur l’arête, l'autre pouvait récupérer mentalement et simplement suivre la corde.

Après 1 heure et 52 minutes, ils ont atteint l’aiguille sommitale et ont donc été la première cordée à gravir l’arête en moins de 2 heures.

 

Ils sont descendus rapidement en rappel par la face sud pour atteindre le pied de l’arête sud appelé Zahnscharte. De là, deux autres rappels et une courte marche menaient au début de la deuxième arête. Encore une fois, ils ont utilisé la même tactique d’escalade simultanée, Wahli menant jusqu’à Zahnscharte et Glatthard menant dans les longueurs restantes jusqu’à l’aiguille sommitale. Ils ont laissé une corde sur l'aiguille pour gagner du temps car ils prévoyaient de grimper l’arête est sans corde, sauf pour la section la plus difficile. Pour gravir le même itinéraire que le détenteur du record, ils ont opté pour le départ classique de l’arête, situé légèrement plus haut que le départ direct.

Vers la fin de l’arête est, Glatthard commençait à se sentir épuisé, tandis que Wahli savait qu’il devrait faire de son mieux pour la descente. L’équipe a exploité ses forces individuelles dans la dernière ligne droite grâce à un travail d’équipe intelligent : Wahli est plus rapide en montée, tandis que Glatthard est plus rapide en descente.

 

« Si l’un de nous se sentait épuisé, l’énergie de l’autre le portait. L’un de nous était toujours en forme et pouvait motiver l’autre. »

 

À 13h48, Glatthard et Wahli étaient tous deux de retour au refuge après une descente pleine d’émotion sur les pierriers. Heureux d'être de retour, ils ont fait un selfie pour immortaliser l’instant. Ils avaient gravi les trois arêtes en 5 heures et 53 minutes depuis le refuge Salbit comme point de départ et d’arrivée et avaient ainsi établi un nouveau record de vitesse

 

Un exploit accompli grâce à une amitié de longue date

Simon et Yannick soulignent qu’ils n’auraient pas réussi ce projet individuellement. De l’idée à la mise en œuvre, ils avaient tout discuté et planifié ensemble. Pour eux, c’était un projet d’équipe dès le début.

Les deux sont amis de longue date et s'étaient déjà engagés dans de nombreuses ascensions par le passé. Ils se connaissent depuis 15 ans et, adolescents, faisaient partie de la même équipe d'escalade. Plus tard, ils ont gravi leurs premières voies ensemble dans le Wenden, telles que « Elefantenohr » et « Jednicka ». Ils ont vite compris qu'ils se complétaient dans les voies mentalement exigeantes et se fournissaient mutuellement le soutien nécessaire. Ensemble, ils se sont engagés dans des ascensions très exigeantes dans les Dolomites, comme l’ascension à vue du « Weg durch den Fisch » à Marmolada en hivernale en une journée ou la traversée d’est en ouest du « Drei Zinnen », également en hivernale.

Les deux soulignent qu'ils se sentent responsables l’un de l’autre et qu'ils se complètent sans pression. La sécurité de la cordée et du partenaire de cordée passe toujours en priorité, et non la performance individuelle. Ils peuvent compter l’un sur l'autre et assumer pleinement leur responsabilité mutuelle.

 

Les temps et les records sont relatifs. Ils ne changent pas la face du monde. Et pourtant, l’esprit d’équipe dont Simon et Yannick ont fait preuve à Salbitschijen est vraiment inspirant et nous rappelle qu’ensemble, de grandes choses sont possibles.

Photos : https://www.diegoschlaeppi.com